Le Nutriscore fait grincer des dents dans les couloirs des institutions européennes

L’adoption d’un système d’étiquetage nutritionnel unifié au niveau européen continue de diviser l’Union européenne. Le mois dernier, un groupe d’experts a tenté de forcer la main des institutions afin que Bruxelles tranche en faveur du Nutriscore, ce qui n’a fait que polariser davantage le débat.

Le mardi 16 mars, plus de 270 scientifiques et une vingtaine d’associations ont écrit un courrier à la Commission européenne afin de faire pression sur celle-ci pour qu’elle adopte « dès que possible » le système d’étiquetage Nutriscore. Dans un courrier également envoyé à l’ensemble des députés européens – les signataires vantent l’ « efficacité, la pertinence l’utilité [du Nutriscore] pour les consommateurs et la santé publique », comme l’indiquait Le Monde dans un article du 16 mars 2021.

Or, si la Commission n’a pas encore choisi un étiquetage nutritionnel uniformisé depuis qu’elle en a émis l’idée, en mai 2020, c’est que la question est plus complexe que ce que laisse entendre ce courrier, et qu’elle ne continue à diviser l’Europe en deux camps.

D’un côté, les pro-Nutrsicore : créé par groupe d’universitaire français et adopté par l’Hexagone trois ans plus tard, le Nutriscore est aujourd’hui en usage dans sept pays : la France, la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, et la Suisse. Il est basé sur un code couleur allant du vert au rouge et des lettres allant de A à E évaluant les apports nutritionnels fournis par 100 grammes du produit étiqueté.

De l’autre, les pro-Nutrinform avec l’Italie qui tente depuis de nombreux mois de rallier à elle les autres gouvernements sceptiques à l’égard du modèle français notamment les Tchèques, les Roumains, les Grecs voire même l’Espagne où ce sujet du Nutriscore est l’objet de vifs débats depuis plusieurs mois. Le Nutrinform est un logo représentant une pile et évaluant les qualités nutritionnelles des aliments en fonction des apports journaliers recommandés, mais aussi de la quantité de l’aliment en question que le consommateur est censé ingérer.

 

Un courrier resté sans réponse dans une querelle qui éloigne Paris et Rome

Alors la Commission européenne s’était engagée à adopter un logo nutritionnel harmonisé d’ici à 2022, la forme que prendra celui-ci est loin d’avoir été définie, et le courrier adressé à la Commission n’y a rien changé. Nutriscore a en effet connu de nombreuses déconvenues – ce qui explique peut-être que les signataires du plaidoyer se soient sentis obligés de voler à la rescousse du logo multicolore.

Le 15 décembre 2020, lors d’une réunion du conseil européen réunissant les 27 ministres de l’agriculture européens, l’Italienne Teresa Bellanova avait ainsi fustigé une la « classification trop simpliste » du Nutriscore, et l’Italie avait – avec la Grèce et la République tchèque – voté dans la foulée contre la proposition de résolution de la présidence tournante allemande de s’engager dans un étiquetage harmonisé européen.

Il y a quelques jours, c’était au tour de Roberto Berutti – italien lui aussi – de mettre en garde contre le Nutrsicore. Ce membre important du cabinet du commissaire européen à l’agriculture (le Polonais Janusz Wojciechowski) a déclaré à titre personnel à Politico qu’il pensait que le Nutriscore n’était « pas objectif et pouvait induire les consommateurs en erreur, car il n’est pas basé sur tous les éléments que les consommateurs devraient connaître ». Il a déclaré sans ambages que le Nutriscore ne fournissait qu’une « vérité partielle ».

Pour expliciter son propos, Roberto Berutti a donné l’exemple d’une bouteille d’huile d’olive recevant une note inférieure à celle d’un soda sans sucre. « Comment peut-on déterminer que l’huile d’olive [est] moins saine qu’un soda ? », s’est-il interrogé. « Bien sûr, cela dépend de la quantité consommée, mais je ne connais personne qui boit 100 grammes d’huile d’olive par jour », a-t-il déclaré, mettant ainsi en lumière le problème majeur du Nutriscore, à savoir son analyse des aliments de façon absolue et non par rapport à la quantité normalement consommée, contrairement à Nutrinform. Une caractéristique qui désavantage par exemple la gastronomie méditerranéenne – traditionnellement riche en produits gras, mais consommés en petites quantités tels que l’huile d’olive, le parmesan ou le jambon cru – un jambon que Roberto Berutti a également évoqué, en estimant que le message de l’Union européenne serait confus si les produits bénéficiant d’une indication géographique comme le jambon de Parme étaient étiquetés « mauvais pour la santé » par un label semblable à Nutriscore.

L’ex-diplomate italien s’est par ailleurs dit « étonné » que le Français président de la commission de l’environnement du Parlement européen, Pascal Canfin, ne soit pas « sur la même ligne que d’autres pays méditerranéens comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce pour essayer de défendre la tradition de notre patrimoine et de notre culture ».

Bien que le sujet de l’étiquetage nutritionnel puisse paraître anecdotique compte tenu des enjeux auxquels l’Union européenne doit actuellement faire face, celui-ci est un outil de santé publique de premier plan dans la lutte contre des problèmes croissants comme le diabète, l’obésité, ou les maladies cardio-vasculaires. Un sujet qui devrait donc faire consensus, mais qui continue de diviser l’Europe – y compris deux de ses membres fondateurs et pays cousins, la France et l’Italie. Une situation si délicate que Bruxelles a tenté d’apaiser l’opposition croissante au Nutriscore en rappelant le mois dernier par la voix d’un de ses hauts fonctionnaires qu’aucun label n’avait encore été choisi. Ce dossier brûlant a été transmis à  l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui devrait publier un avis scientifique début 2022.

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