Tabagisme : la France encore très à la peine

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Le 31 mai, pour célébrer la « Journée mondiale sans tabac », Santé Publique France a publié les chiffres de la prévalence du tabac en France. Dans l’Hexagone, l’heure n’est pas à la fête. Après une baisse constante entre 2014 et 2019, le tabagisme se stabilise aujourd’hui à un niveau préoccupant, 15 millions de personnes se déclarant fumeurs, dont 12 millions « fumeurs quotidiens ». 

Des chiffres encore trop hauts

En moyenne, le fumeur-type français consomme 12,7 cigarettes par jour. L’âge d’initiation au tabac se situe autour des 13 – 14 ans, alors même que 200 000 adolescents commencent à fumer chaque année. De quoi maintenir la France dans le peloton de tête des pays ayant la plus forte prévalence tabagique : 27,4 % des hommes et 21,7 % des femmes fument régulièrement, selon Santé Publique France.

Un paradoxe, dont la France se passerait bien. Le pays est en effet l’un de ceux ayant mis en œuvre la fiscalité et la législation les plus lourdes du monde. Interdiction de fumer dans les lieux publics ; prohibition de la publicité en faveur du tabac, y compris dans les 235 000 bureaux de tabac ; déploiement d’une campagne de photos chocs ; paquet neutre ou encore hausse régulière et forte de la fiscalité sur les produits du tabac : la politique de lutte contre le tabac conduite en France depuis la loi Evin, poursuivie par Simone Veil et ses successeurs Xavier Bertrand, Roselyne Bachelot ou encore Agnès Buzin a, ces trente dernières années, l’apparence d’une fermeté accrue.

Dans les faits, elle ne fait que trop modérément baisser le nombre de fumeurs et n’a qu’un impact limité sur les revenus des géants du tabac. Au contraire. La politique fiscale du gouvernement est en effet fondée sur la hausse successive des taxes pour contraindre les fabricants de tabac à augmenter leurs prix afin d’encourager les fumeurs à sortir du tabac. Cette politique fiscale, qui repose sur une taxe appelée « minimum de perception », détermine un prix minimum de vente, globalement indolore si les fabricants s’y conforment. Rémunérés par un pourcentage appliqué sur le prix de vente, les prix plus élevés des paquets permettent aux cigarettiers d’engranger des profits supplémentaires. De ce fait et malgré une baisse de la consommation dans le monde, les chiffres d’affaires de certains des plus grands cigarettiers, comme British American Tobacco ou Philip Morris, ont ainsi grimpé entre 2010 et 2022. « Les augmentations de tarifs compensent une bonne partie de la baisse de la consommation dans les pays occidentaux tandis que la croissance de la population dans le reste du monde permet globalement d’y maintenir les volumes », résume ainsi au Figaro David Beadle, spécialiste du secteur chez Moody’s.

Le commerce parallèle en ligne de mire

La France n’échappe pas à la règle. Depuis une vingtaine d’années, la baisse des ventes au sein du réseau officiel des buralistes est constante : 82,5 milliards de cigarettes vendues en 2000, 55 milliards en 2010, 31,7 milliards en 2022. Mais les quatre majors du tabac, Philip Morris International (PMI), British American Tobacco, Seita-Imperial Brands et Japan Tobacco International, constatent que la France reste, de tous les pays au monde, l’un des marchés les plus lucratifs. Dans le même temps, la part du commerce parallèle représente, à ce jour, entre 30 et 35 % de la consommation globale en France, soit 15 à 18 milliards d’euros, dont une immense partie sort directement des usines des cigarettiers, selon plusieurs observateurs et fins connaisseurs du marché. « Il faut rappeler que 98 % du commerce illicite concernent des cigarettes fabriquées par les industriels du tabac. La contrefaçon est insignifiante », affirme le Dr. Milleron, cardiologue, dans une tribune signée sur Libération.

Un paradoxe, dont l’explication est relativement simple. Selon Raoul Setrouk, à la tête de la société d’études MSIIntelligence, « PMI a intentionnellement et activement inondé le marché algérien de cigarettes bon marché, sachant qu’un flux régulier de ces cigarettes serait revendu en France ». L’autre vecteur privilégié serait les pays frontaliers de la France, où la fiscalité est systémiquement plus avantageuse et le prix du paquet, logiquement, beaucoup moins cher. « Il est de notoriété publique que les cigarettiers inondent les pays limitrophes, sachant que ce surplus fournira le commerce illicite (ou plutôt parallèle) en France », estime Olivier Milleron. Andorre, destination très prisée des fumeurs du Sud-ouest français, reçoit ainsi 850 millions de cigarettes annuelles, pour une consommation domestique estimée à 120 millions. Le Luxembourg, membre de l’Union européenne, se fait livrer chaque année 3 milliards de cigarettes pour un marché intérieur de 600 millions de cigarettes.

Le « Plan Attal » fait l’objet de nombreuses critiques

Au niveau gouvernemental, Gabriel Attal, ancien porte-parole du gouvernement et désormais ministre de l’Action et des Comptes publics, se vante de saisies records. En effet, elles ont atteint les 649,1 tonnes en 2022, soit une hausse de 59,2 % par rapport à 2021. De nets progrès qui, d’un point de vue global, ne représenterait que 3 % des 15 à 18 milliards de cigarettes issues du commerce parallèle. Pour l’industrie du tabac, ces taux demeurent globalement inoffensifs.

Une situation qui enrage certains acteurs politiques fermement engagés dans la lutte contre le tabac. « Le “protocole OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac” a été rédigé en 2012 et il préconise deux choses : d’obliger les cigarettiers à fournir une quantité de cigarettes par pays qui correspond à la consommation interne, et qu’un système de traçabilité des paquets de cigarettes soit mis en place avec une surveillance effectuée par des acteurs indépendants de l’industrie du tabac. Ces deux mesures de bon sens ne sont pourtant appliquées ni en France ni en Europe, principalement du fait de l’efficacité du lobbying de Big Tobacco », s’indigne Olivier Milleron.

Très volontariste, ce texte, ratifié par la France en 2015, prévoit donc la mise en œuvre de quotas de livraison de tabac par pays en adéquation avec la consommation domestique, ainsi qu’une traçabilité des produits du tabac strictement indépendante des industriels. L’application de ces mesures devrait d’ailleurs, selon la députée européenne Anne-Sophie Pelletier, être liée à toute nouvelle hausse des taxes afin de lutter contre le commerce parallèle au sein de l’Union européenne, « lequel est pour l’essentiel alimenté par les achats transfrontaliers et par les cigarettiers », affirme-t-elle aussi dans une question parlementaire. Sur les autres produits du tabac, l’OMS préconise de fiscaliser tous les produits contenant de la nicotine (tabac chauffé, cigarettes électroniques, snus, chicha…) et leur appliquer la même réglementation que celles des cigarettes, pour éviter les effets d’aubaine en cas de réduction globale de la consommation. Tant que l’on « ne dénonce pas la responsabilité des industriels du tabac dans le commerce illicite de tabac, il est certain que la source du commerce illicite ne se tarira pas », conclut Olivier Milleron.

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