Lutte contre le tabac : la France se tire une balle dans le pied

Finie, la limite des 200 cigarettes autorisées aux frontières entre la France et ses voisins. Avec la discrète publication d’un décret en plein week-end pascal, la France a aligné – très à la hausse – ses quotas d’importation de tabac sur les règles communautaires. De quoi faire tousser les spécialistes de la santé publique. En coulisses, les fabricants de tabac applaudissent. « Les lobbies du tabac sont les vainqueurs » affirmait ainsi, le 30 mars, le Professeur Dautzenberg, l’un des fer-de-lance français de la lutte anti-tabac.

Les limites de consommation sautent

Jusqu’au vendredi 29 mars, les particuliers ne pouvaient importer que 200 cigarettes, 100 cigarillos, 50 cigares et 250 grammes de tabac à rouler depuis d’autres pays de l’Union européenne. Si aucun nouveau seuil n’a été défini par le nouveau décret, la directive européenne sur laquelle il s’aligne fixe les limites minimales à 800 cigarettes. Soit théoriquement quatre fois plus que les anciennes.

Côté gouvernement, on tente de déminer une décision qui pourrait avoir de lourdes conséquences. Interrogé sur Sud Radio le vendredi 29 mars, Thomas Cazenave, ministre délégué aux Comptes publics, a affirmé vouloir « (ne pas) ouvrir les frontières » mais « permettre aux douaniers d’identifier vraiment ceux qui font du commerce ». Un argument qui peine à convaincre, alors que le volume saisi de tabac issu du commerce parallèle est en baisse en 2023, avec 521 tonnes, contre 640 en 2022. Pour les spécialistes, les douaniers devraient en effet avoir, dans les mois à venir, encore plus de travail. Ce décret risque ainsi de créer un appel d’air pour le commerce transfrontalier et renforcer le commerce parallèle de tabac, que les pouvoirs publics n’arrivent, selon les chiffres, qu’à juguler à hauteur de 3 % du volume global. « Une cigarette sur trois sur le marché français n’est pas achetée dans le réseau des buralistes », explique ainsi Philippe Coy, patron influent de la Confédération nationale des buralistes de France (FBF). Elles sont en revanche achetées via les réseaux du commerce parallèle, largement alimentés par les cigarettiers, selon les experts du secteur. « Selon Tobacco Atlas, 98% des produits du tabac circulant illégalement proviennent des usines des fabricants de tabac », explique en ce sens le Comité national de lutte contre le tabac (CNCT).

Colère des experts de la santé publique

Côté santé publique, cette décision fait aussi grincer les dents. « Le cancer du fumeur coutera moins cher dans les régions frontalières », s’indigne, sur X, le Professeur Bertrand Dautzenberg, médecin et président de Paris Sans Tabac. « Honte au Conseil d’État », poursuit ce spécialiste de la lutte contre le tabagisme. Et, pour les finances publiques, ce décret semble déjà représenter un nouveau casse-tête. En quête de 10 à 20 milliards d’euros, le gouvernement pourrait encore perdre des recettes fiscales -qui constituent 80 % du prix du tabac- du fait d’un report massif des fumeurs vers les cigarettes achetées à l’étranger. Le nombre de paquets vendus sur le territoire français est d’ailleurs déjà en baisse notable et a chuté à moins de 1,5 milliard l’an dernier, soit un recul d’un quart depuis 2018.

Ce retour en arrière apparaît comme une défaite stratégique pour le gouvernement français. En novembre 2023, Frédéric Valletoux, aujourd’hui ministre de la santé et alors simple député Horizons, déposait une proposition de de loi visant à assécher le marché transfrontalier du tabac avec un mot d’ordre : « Une cigarette doit être fumée là où elle a été achetée ». La proposition de loi visait surtout les pays voisins de la France. « Les fabricants de tabac surapprovisionnent les vendeurs de tabac des pays limitrophes de la France : Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie, Espagne et Andorre, pour alimenter les fumeurs des pays à fiscalité plus forte », exposaient alors les députés. Par exemple, si les fumeurs luxembourgeois n’ont théoriquement besoin de que de 600 millions de cigarettes par an, ils en reçoivent 3 milliards des cigarettiers. La cible ? Les fumeurs français.

La politique anti-tabac de la France dans le flou

Pour les associations de santé publique, ce décret jette le trouble sur la politique anti-tabac de la France. A première vue, difficile en effet d’y voir clair. « Les conclusions du Conseil d’État vont à rebours des impératifs de santé publique », estime ainsi le Comité national de lutte contre le tabagisme (CNCT). Surtout, la mise en place de quotas de livraison de cigarettes par pays « fait partie du Protocole pour éliminer le Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, ratifié par la France et l’Union européenne », précise l’association, qui affirme qu’« il est indispensable de mettre en place des quotas d’approvisionnement en tabac par pays correspondant à la consommation intérieure réelle ».

Depuis plusieurs mois, la France pousse en effet pour l’application stricte du Protocole de l’OMS au plus haut niveau européen. D’abord par une proposition de loi déposée en octobre 2023 par Frédéric Valletoux, devenu ministre de la Santé et soutenue par Thomas Cazenave. Ratifié par l’Union européenne en 2016, ce protocole n’est cependant pas encore appliqué au sein de l’Union européenne, alors que les députés pourraient s’y pencher dans les mois à venir. Quoi qu’il en soit, ce nouveau décret et l’arrêt des quotas d’importation s’inscrit à rebours du Protocole de l’OMS, comme de la santé des finances publiques.

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