Nutri-Score : la part belle… aux produits industriels

Nutri-Score

Le système de notation Nutri-Score, qui pourrait devenir obligatoire à partir de 2022, suscite une vive inquiétude chez les producteurs de fromages. Et pour cause : il désavantage fortement leurs produits, au profit de ceux des industriels, les seuls à tirer leur épingle du jeu. Explications. 

Le Nutri-Score à la sauce fastfood : la nouvelle a de quoi faire sourire. Et pourtant, c’est vrai. Après McDonald’s, c’est la chaîne de fast-food KFC qui saute le pas et pourrait être bientôt suivie de Domino’s Pizza. L’enseigne a indiqué, cet été, qu’elle inscrirait les scores des produits utilisés dans ses menus. Pour rappel, le Nutri-Score note les produits de A (très bon) à E (très mauvais), en fonction de leur apport nutritionnel.

 

Transformer pour mieux noter

Loin d’être des références en matière de gastronomie, les fastfoods ne se tireraient-ils pas une balle dans le pied ? Ne rêvons pas : le coup de comm’ est, en réalité, parfaitement maîtrisé, puisque par ce biais, les McDonald’s et comparses jouent la carte de la sacrosainte transparence vis-à-vis du consommateur.

Du côté de KFC, on crie déjà victoire : « 70 % des produits de la gamme permanente de KFC France obtiennent un Nutri-Score compris entre A et C », s’est réjouie l’entreprise dans un communiqué, le 27 septembre dernier. Même son de cloche du côté du M doré. « L’information nutritionnelle est pour nous une priorité sur laquelle nous travaillons quotidiennement depuis de nombreuses années. Dans une démarche de progrès continu, nous mettons tout en œuvre pour permettre à nos consommateurs de faire des choix toujours plus éclairés parmi notre offre de produits », indiquait, cet été, Delphine Smagghe, senior vice-présidente Achats, Qualité, Développement durable et Communication de l’enseigne, à Challenge.

Par un habile tour de passe-passe, les enseignes parviennent, en transformant toujours plus leurs produits, à grappiller des bonnes notes sur le système d’étiquetage alimentaire. « Au cours des dernières années, nous avons collaboré avec différents experts, afin de revoir nos recettes et d’en améliorer le profil nutritionnel tout en préservant les saveurs. Ainsi, la teneur en sel de la panure “Original” de l’ensemble des filets de poulet KFC a été réduite de 18 % et la teneur en gras des sauces des burgers et sandwiches ne dépasse pas les 30 % », précisait Cédric Losdat, directeur général de KFC, à Challenge’s.

Et le jeu en vaut la chandelle. D’après les données de l’IRi, les ventes des produits notés A augmentent généralement de 0,5 %, celles des B de 0,4 %, tandis que celles des C et des D baissent respectivement de 1,7 % et 2, 4 %. A défaut d’être meilleur, le contenu de notre assiette serait moins mauvais pour la santé.

 

Éduquer plutôt que cibler

Sauf que ce système de notation n’est pas sans effet pervers. Les producteurs de certains produits traditionnels, notamment ceux des fromages AOP, l’ont bien compris et sont vent debout. Quand le Coca-Cola light est classé B au Nutri-Score, les fromages AOP d’Auvergne, comme le saint-nectaire, se voient attribuer un D ou un E. Et ils ne sont pas les seuls qui pourraient en pâtir. En Franche-Comté, les quatre fromages AOP, que sont les comté, mont d’or, bleu de Gex et morbier, sont également concernés, avec une note de D. Idem pour le maroilles. De quoi semer le doute dans l’esprit des consommateurs… et redéfinir au passage, le concept même de qualité.

Car pour les produits traditionnels AOP, les recettes sont immuables… et gages de qualité du produit. Mais ils sont « classés systématiquement en D ou en E, comme pour les bleus. Cela pose énormément de problèmes à la profession. Le fromage est un produit qui a obligatoirement de la matière grasse et du sel, donc il est automatiquement classé dans le bas du tableau », regrette Philippe Lorrain, président de l’AFA, Association des fromages AOP d’Auvergne, explique comme suit à France 3 Région Auvergne Rhône-Alpes. Summum de la confusion, les consommateurs, qui se réfèrent au Nutri-Score, pourraient se détourner des produits du terroir, au profit de produits industriels.

Un sujet d’inquiétude pour le président de l’AFA, d’autant qu’il n’y a rien de nutritionnel dans le Nutri-Score : « Il ne met en avant comme composants que le sel, le sucre et les matières grasses et ils seraient mauvais pour la santé. » La solution ? L’éducation. De son point de vue, il faudrait repenser cette notation pour vanter les bienfaits de tels ou tels aliments, fromage compris. En l’état, « le Nutri-Score ne démontre pas les avantages d’une nutrition équilibrée, par exemple l’apport de calcium, de vitamines et de minéraux que l’on trouve dans les produits traditionnels et non pas dans les produits industriels. » Ce qui permettrait de différencier un soda d’un fromage, autrement que par une simple note. 

 

Haro sur le Nutri-Score

Même constat pour Sébastien Ramade, président de l’interprofession AOP saint-nectaire et administrateur au Cnaol, Conseil national des appellations d’origine laitière, qui a interpellé le ministère de l’Agriculture : « Selon le Nutri-Score, on nous dit que nos produits sont mauvais pour la santé et on est surpris de recevoir cette note-là, alors que ce sont des produits, très peu transformés, naturels, avec des recettes ancestrales. Avec nos AOP, on ne peut pas changer le cahier des charges pour rentrer dans le cadre du Nutri-Score », rapportait-il à France 3 Région.

D’autant que, toujours de son point de vue, le Nutri-score renferme une erreur dans son mode de calcul même. « Il est calculé sur 100 grammes. La part moyenne mangée par les Français est de 30 grammes (de fromage, ndlr) par jour. Donc ramenée à 100 grammes, la note n’est forcément pas bonne. » Sans que soient évoqués les bienfaits apportés par les produits laitiers, comme les omégas 3 et 6. Selon lui, les AOP fromagères devraient être, purement et simplement, exemptées de Nutri-Score. C’est d’ailleurs ce que la députée du Doubs, Annie Genevard, avait demandé en juin dernier dans une proposition de loi (N°4285).

Par un curieux retournement de situation, les produits nobles se voient mal notés et les produits industriels valorisés : la France pourrait s’être tiré une balle dans le pied avec son modèle d’informations nutritionnelles.

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